La construction du bureau efficient : l'organisation scientifique du travail, la reddition de comptes et l’État néolibéral
Depuis le XIXe siècle, le bureau est un centre de planification organisationnelle, de reddition de comptes et de contrôle. Pourtant, relativement peu de chercheurs en comptabilité s'y sont intéressés. Dans la double optique de la théorie de Foucault et de celle des processus de travail, les auteurs utilisent une méthodologie d'interprétation de photos historiques pour étudier l'instauration du contrôle de gestion et de la reddition de comptes dans les bureaux qui ont adopté l'organisation scientifique du travail en émergence aux États‐Unis à la fin du XIXe siècle et au début du XXe. L'analyse des auteurs révèle la manière dont les documents comptables ont créé de nouveaux modes de contrôle disciplinaire et de surveillance dans les bureaux et comment les tâches comptables ont été « déspécialisées » dans un milieu de travail qui s'est progressivement féminisé et mécanisé. Ils observent également le rôle de la comptabilité dans l'aménagement physique des bureaux grâce à la disposition en « chaîne de montage » du mobilier de bureau de manière à faciliter la circulation du papier et l'installation de systèmes de tenue des comptes destinés à la surveillance. De plus, l'historique de cette évolution de l'administration des bureaux qu'ils retracent grâce à leur analyse visuelle amène les auteurs à se pencher sur certaines questions contemporaines. La conception du bureau inspirée de la chaîne de production et l'efficience que lui attribuent les tenants de l'organisation scientifique du travail ont pavé la voie au décloisonnement de l'espace dans les bureaux d'aujourd'hui et ont influencé les idéologies contemporaines d'organisation du travail comme celle de l'organisation par activités. En outre, les auteurs cherchent à éclairer les débats actuels sur le rôle de la comptabilité dans la société néolibérale contemporaine. L'historique de l'organisation scientifique du travail au sein des bureaux permet aux auteurs d'anticiper le rôle que la comptabilité jouera ultérieurement dans un programme d'action néolibéral à titre de technologie efficace de micromesure et de microgestion.